Chroniques

L’Outsider
La bourse ou la vie


Par Hubert Charrier 09/11/2016

Interminable mais passionnant feuilleton pour qui s’y penche un peu, l’Affaire Kerviel connaissait un nouveau rebondissement le 23 septembre dernier, la justice s’interrogeant enfin sur la responsabilité de La Société Générale, pointant les défaillances de contrôle de la banque. Avec des pertes estimées, dans un enquête interne, à 4,9 milliards d’euros et renflouées, en partie, par l’État, il était temps de redonner un peu sens à cette bataille inique. En s’appuyant sur le bouquin du trader désavoué mais également sur des ouvrages à charge, Christophe Barratier nous livrait cet été, sa vision des faits, L’outsider. Évitant l’écueil du récit complaisant et fort d’une mise en scène intelligente, le film suit, pas à pas, un jeune loup ambitieux, de sa discrète entrée à sa fracassante chute. Du pain béni pour Philippe Rombi.

Rares sont les compositeurs suscitant une réelle attente à chaque nouveau score. Grâce notamment à sa prolifique collaboration avec François Ozon, Philippe Rombi a disséminé assez de perles pour rentrer sans rougir dans ce cercle restreint. Comme souvent c’est la matière ici qui structure la musique, et matière il y a, avec L’outsider. Deux personnages, l’un palpable et concret, Jérôme Kerviel, l’autre, un ogre aux milles masques. La Société Générale, la Défense, la finance, autant de facettes pour un seul visage et l’occasion pour le compositeur d’explorer plus franchement une voie déjà foulée, l’électronique.

Appropriation musicale

Sur son Ouverture, Philippe Rombi expose la palette qu’il donnera à sa composition. Des nappes électroniques et des percussions froides, quatre notes qui résonnent dans une boîte creuse et sans âme, la Défense. Une montée progressive amenant ce manège au point de rupture, un son strident et absorbé. Le musicien reboote la machine et l’humain prend le contrôle. Ce début de mélodie répété aux cordes hantera l’album, c’est le motif de Kerviel. Les tours, Le premier jour, Le temps passe, le premier tiers se veut emballé et rythmé par cet ostinato, modelé au besoin par notre compositeur.

Avec Premier spiel et Buy ! Buy !, l’électronique prend enfin ses marques, d’abord pesant ensuite effréné. La pieuvre dévoile ses tentacules et tire petit à petit Kerviel vers l’autre côté du rideau, cette finance qui nous échappe. Le voilà devenu trader. L’intelligence du musicien et d’amener insidieusement, pierre par pierre, cette mécanique, installant même une entente parfaite sur Lâcher la terre, morceau aérien et mélancolique, osmose musicale de deux entités. Lancée par la harpe, la piste introduit ensuite des nappes de cordes et d’électroniques, soutenant des percussions légères et claires.

Du sommet, on ne peut que redescendre. Crise en haut lieu et Le tout pour le tout viennent annoncer ainsi la fin de la récréation et une chute inexorable. Révélations vient boucler le cercle retournant au point musical initial, ce son strident et absorbé. Ça y est, la pieuvre recrache sa mélodie, lessivée mais vivante, pour reprendre, avec C’est fini, une marche autonome déshumanisée et déshumanisante. Brillant travail d’appropriation scénaristique, la musique de Philippe Rombi propose une seconde lecture passionnante du film de Christophe Barratier, apportant une dimension supplémentaire et tout en recul sur l’Affaire Kerviel. Idéal pour prolonger la réflexion.

L’outsider, une bande originale à découvrir sur notre radio et à retrouver en physique, sur le label Music Box Records.