Chroniques

Black Panther
Sauvé des eaux


Par Hubert Charrier 28/03/2018

Lorsque Ludwig Göransson rencontre Ryan Coogler, il y a tout juste 8 ans, le cinéaste réalise ses premiers courts, à l’aube d’une ascension fulgurante. En 2013, au Sundance, Fruitvale Station fait l’unanimité, raflant le grand prix du jury et celui du public. Un sésame pour des projets financièrement plus ambitieux, d’abord une suite à la saga Rocky, l’excellent Creed et finalement Black Panther, dernier poids lourd Marvel et indiscutable succès de ce début d’année.

Trois films et déjà quelques solides obsessions, dans la thématique bien sûr mais aussi dans le choix des hommes, de Michael B. Jordan, son acteur fétiche, à Ludwig Göransson donc, compositeur fidèle à l’allure christique, à mi-chemin entre Björn Borg et François de Roubaix. Pour un musicien, accompagner, des premiers pas à l’éclosion, la carrière d’un réalisateur reste un privilège rare. Surtout lorsque ce chemin passe par Hollywood, où la pression des producteurs empêche souvent d’avoir les coudées franches. Symbole de cette mainmise artistique, le Marvel Cinematic Universe, qui, par souci louable de cohérence, standardise depuis plusieurs années la majorité de ces longs-métrages. Malgré sa bonne volonté Ryan Coogler n’échappe pas à la règle, étouffant son cinéma à coups d’effets numériques laids et sans relief. Dans ce marasme, un score générique pouvait parfaitement convenir. Pourtant, nous voilà embarqué malgré nous dans un travail enflammé et inspiré qui tente d’insuffler au film héroïsme et panache.

Entre tradition et modernité

Confirmé très en amont du projet, Ludwig Göransson a tout le loisir d’affiner l’univers musical de Black Panther. Après une plongée dans les comics de Stan Lee et Jack Kirby, le musicien décide de partir plusieurs semaines en Afrique à la recherche du son juste, celui qui marquera l’identité du score et de son héros. En s’invitant au Sénégal dans la tournée de Baaba Maal, le suédois met la main sur une poignée d’artistes locaux, instrumentistes atypiques. C’est vers le Tama, battu à l’origine par les griots des rois sénégambiens, que se tourne Göransson pour exprimer toute la sève de ce pays imaginaire et de son souverain T’Challa. L’album s’ouvre d’ailleurs sur le percussif Wakanda origins, source vive de cette bande originale.

Ces percussions appuient la thématique et le travail orchestral, renforçant la puissance des cuivres, éclatants lors des scènes de combat comme dans l’excellent Waterfall Fight. Une logique semble se dessiner et le lien musical avec Creed se devine parfois (You’re a Creed), un même héroïsme transpirant souvent des notes de Göransson. Autre héritage, ce beat identifiable, modernisme apporté par Killmonger, adversaire charismatique, parfois lourd à l’écran mais jamais à l’écoute (Killmonger, Burn it All, The Great Mound Battle). Une personnalité aigre-douce symbolisée aussi par une jolie flûte peule, allusion à ses origines africaines.

C’est dans l’union que se clôture Black Panther et notre compositeur y voit de nouvelles perspectives. Glory to Blast est un superbe morceau de bravoure où le futur se lève et habite la bataille, dévoilant une nouvelle thématique lumineuse. Dommage que la scène soit une purge et gâche ici le plaisir que l’on pourrait prendre en fermant simplement les yeux. C’est tout le paradoxe du score, il dessert un film raté, grossier, sans aucune force mais se positionne pourtant sans problème comme l’un des meilleurs, dans le genre, de ces dernières années. Comme T’Challa et Moïse avant lui, Göransson est sauvé des eaux. Qu’il reste au sec.

Black Panther, une bande originale à retrouver en numérique sur toutes les plateformes.